Une rivière

Un crayon à la main, une fillette dessine à sa fenêtre. Sa chambre, en panoramique, comme son chez-soi, son cocon. Dégradés de bruns, teintes sombres et chaudes comme un intérieur un jour d'automne. L'idée du chez-soi est appuyée par nombreuses représentations de maisons, en jouet sur le tapis, en maquette sur l'étagère, ou dans la forme de l'étagère à bibelots. Comment ne pas penser au merveilleux Chez nous, de Carson Ellis, par cette parenté graphique et les multiples petites maisons dessinées ici et là, de la tour construite en cubes au bocal du poisson rouge.

L'envie de s'évader, en réponse, est bien là, comme le rappelle la forte présence végétale et animale. Par de nombreuses touches, l'auteur --qui est avant tout un illustrateur de talent-- met en place son récit en jouant sur l'opposition intérieur/extérieur. C'est par la fenêtre que va s'amorcer le récit, deux pages plus loin.

Au loin, une rivière qui serpente au coeur de la ville. La fillette, narratrice à la première personne, s'imagine y voguer sur un bateau d'argent et commence un périple imaginaire. A travers la ville, et sa banlieue, au delà des zones industrielles, la rivière poursuit sa route à travers les fermes et les champs, puis au coeur des collines et des vallées. Elle parcourt des paysages de plus en plus verts, de plus en plus bleus, la forêt, puis la jungle, puis la mer. Les décors qu'elle traverse sont prétexte à des illustrations luxuriantes, des superpositions de couleurs époustouflantes.

Un voyage en bateau de la chambre à des contrées primitives et indomptables et retour, ça ne vous rappelle rien ? Pas de Maximonstres en vue ici, mais la nature sous ses visages les plus sauvages.

Sur la double page de fin, la même chambre, dans l'obscurité. Seule la lumière de la lune, reflétée sur la voile du bateau d'argent, et celle de la lampe du bureau, qui éclaire un dessin de forêt terminé. Le crayon de la fillette lui est tombé des mains et ses yeux se sont fermés.

 

Une rivière, Marc Martin

Circonflexe, 2015.

En bonus :

La chambre de l'artiste dans Chez Nous, de Carson Ellis, cité plus haut :

L'artiste en action devant une fenêtre où l'envie d'évasion prend la forme d'un bateau ou d'un oiseau, le globe terrestre comme une autre invitation au voyage, le bocal du poisson rouge, la dialectique maison/ailleurs... Bien des éléments qui se font joliment écho dans deux très beaux albums qui sortent en France à quelques jours d'intervalle. Leurs auteurs vivent aux antipodes (l'Oregon et l'Australie), et semblent pourtant se répondre...