Le grand méchant renard
Il suffit de le regarder pour constater que le grand méchant renard porte assez mal son nom. Pas plus mal, remarquez, que s'il s'était appelé « Le beau renard fringuant ».
Oeil torve et épaules tombantes, le gringalet roux est plus bête que méchant. A vrai dire, il serait pathétique s'il n'était pas un génie de drôlerie (toujours à ses propres dépends, notez bien).
Mais l'important, c'est d'y croire, alors chaque matin, le grand méchant renard manigance une attaque fourbe et cruelle sur le poulailler.... avant de se faire botter les fesses par des poulettes pas commodes. A tel point que les valeureux gardiens du poulailler, pris de pitié, lui mettent de côté un panier de navets qui, s'il ne manque pas de l'enfoncer dans son humiliation chaque jour, l'empêche au moins de crever de faim. Des navets ! Non mais sans déconner. Saluons au passage Benjamin Renner, qui rend à cet insipide tubercule un hommage mérité.
Honteuzéconfus et triste comme un navet, donc, le renard se fait remonter le moral et les bretelles par le loup, qui lui est grand, méchant, ET rusé (belle revanche d'Ysangrin sur Goupil!). C'est dans son perfide esprit que germe une idée diabolique : Puisque lui est tricard au poulailler , c'est le poulailler qui va venir à lui. Le renard ayant à peu près autant de chances de mettre la patte sur une poule que Bip-Bip d'attraper Coyote, il s'introduira subtilement dans le poulailler pour y dérober des œufs, qui n'auront qu'à leur tomber dans le gosier une fois éclos. Bref : une idée de génie !
Entre la dextérité et la vivacité d'esprit de notre ami renard, l'efficacité et la force de travail des gardiens du poulailler qui s'improvisent détectives, et cet saloperie d'instinct maternel, l'affaire n'est pas tout à fait dans le sac.
Rarement me suis-je autant tordue de rire pendant une lecture ! (en ont souvent témoigné les coups d'oeils intrigués de mon compagnon de lit et de mes voisins de métro).
Avec un sens du gag qui semble lui être inné, Benjamin Renner* enchaine des sketches tordants et des répliques hilarantes. J'adore les dessins, les tronches irrésistibles des personnages et la légèreté des vignettes à l'aquarelle sans cases. A contrepied de l'imagerie traditionnelle, il dessine un renard-loser incroyablement attachant, et une galerie d'inénarrables personnages de basse-cour.
J'en ris encore.
Le Grand Méchant Renard, Benjamin Renner
Delcourt « shampooing ». 2015.
*Pas tout à fait un inconnu en terme de gags, c'est dans l'animation que Benjamin Renner sévit. Il a co-réalisé l'excellent Ernest et Célestine. Et je n'ai pas de raison autre que son talent pour lui cirer les pompes, mais je l'ai rencontré avec mes élèves à Montreuil et en plus d'être drôle, il est hyper sympa. (Donc du coup si, ça fait au moins deux raisons !)
P.S : Entre temps, après Grand prix des lecteurs du journal de Mickey, Le grand méchant renard a obtenu le prix BD fnac 2016. Youpi !