La forêt millénaire
Pour qui aime Jirô Taniguchi, La forêt Millénaire est une sorte de supplice de Tantale. Le lecteur, animé d'une soif inextinguible des dessins et récits enchanteurs du maître Taniguchi sait avant même de commencer l'album que celui-ci ne l'assouvira pas. En effet, La forêt Millénaire est une oeuvre inachevée, Jirô Taniguchi ayant été emporté trop tôt, avant de pouvoir mener son projet à terme.
La frustration est d'autant plus vive que le début est prometteur :
Un jeune garçon, Wataru, arrive de Tokyo à la campagne chez ses grand-parents, suite à l'hospitalisation de sa mère pour des raisons mystérieuses. Là, dans la forêt qui recouvre la montagne , au coeur du Japon traditionnel, Wataru se rend compte peu à peu qu'il entend les voix de tous les êtres qui l'entourent : le grand arbre qui veille sur la troupe d'enfants locaux, le chien, mais aussi les insectes, toute la forêt...
Il y a, dés le début, une auréole de mystère autour de l'histoire de ses parents, dont on comprend que des éléments cruciaux ne seront révélés que plus tard à Wataru. Avec lui, on se laisse enchanter par le vert de la forêt, sombre de loin, et de plus en plus tendre lorsqu'on y pénètre avec lui. Le grand arbre, (qui a dans mon coeur de lectrice une résonance particulière) semble lui aussi avoir bien des secrets à révéler, comme les créatures mystérieuses qu'on aperçoit parfois au détour d'une page, dans la nature la plus sauvage. Mais ces secrets, lecteur, ne te seront pas révélés, puisque l'album reste inachevé. Reste alors à admirer la magnificence des paysages dessinés, la puissance végétale de ces planches, la solennité et la sérénité qui s'en dégage. La grandeur de la nature n'efface pas le personnage, incarné comme toujours chez Taniguchi avec relativement peu de paroles mais beaucoup de profondeur, et une présence forte, qui happe le lecteur dés son apparition. S'esquisse subtilement une ode à la nature, à sa puissance et son immensité, et à l'harmonie idéale à laquelle devraient aspirer les hommes dans leur relation à elle.
L'album comme objet est tout aussi magnifique, fruit d'un remarquable travail éditorial. Format à l'italienne mettant en valeur les planches panoramiques, la couverture et son fond en dégradés de verts, les nervures comme celles d'une feuille semblant lui insuffler une existence organique. Rue de Sèvres réalise un bel hommage à l'auteur en réunissant son album inachevé, une genèse de l'oeuvre “les racines du projet” analysée par sa traductrice et son éditeur japonais, et des carnets de croquis de Taniguchi.
L'occasion de prolonger l'enchantement de cet auteur marquant parti trop tôt.
La forêt millénaire, Jirô Taniguchi
Rue de Sèvres. 2017
Rue de Sèvres. 2017