Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants
Il faut le reconnaitre : les ogres d'aujourd'hui ne sont plus ce qu'ils étaient.
Rappelez-vous, autrefois, les ogres, on les remarquait : leur stature était imposante, leur voix tonitruante, leur appétit insatiable. Ils dévoraient des fratries entières, parfois même leurs propres enfants, dans des sauces au bain de sang, puis rôtaient joyeusement. Il se peut que je m'emballe un peu, mais vraiment, vous en conviendrez, les ogres aujourd'hui ne sont plus ce qu'ils étaient. D'ailleurs, c'est à peine si l'on arrive à les distinguer du commun des mortels, à l'exception de ce détail qui ne trompe pas... et qui vous sera révélé dans le livre... (mais chuuut.)
Notre histoire se passe il y a très, très longtemps, pendant l'âge d'or des ogres en quelque sorte. Dans cette civilisation fort évoluée, les enfants étaient élevés en masse dans de grandes fermes et bien nourris afin de remplir les estomacs des ogres qui peuplaient la terre. Ces derniers menaient une vie de paisible, passaient leur temps à s'empiffrer et n'étaient jamais rassasiés de chair fraîche. Et puis un jour, une ogresse est tombée malade et tout a basculé.
Le jour où les ogres ont cessé de manger les enfants tient, et ne s'en cache pas, un propos complètement militant. Il n'y a peut être pas besoin d'aller chercher bien loin les étranges similitudes entre ce temps d'il y a “très, très longtemps” et le nôtre. Elever des êtres pour se nourrir de leur chair, c'est non seulement monstrueux, mais ça peut être dangereux. Il faut alors imaginer des alternatives, à base de topinambours, de choux romanesco et autres végétaux biscornus aux noms rigolos. Mais si la morale de cette histoire s'impose, c'est avec une certaine légèreté. La fantaisie des illustrations de Loïc Froissard y est pour beaucoup, la gaité des couleurs, la rondeur des traits, ces silhouettes qui semblent flotter dans un univers sans ligne droite ni perspective. La légèreté du ton, nécessaire pour ne pas tomber dans le requisitoire, est là aussi : l'humour est présent à chaque page, il peut se faire grinçant (Oh ! L'abjecte hypocrisie des sages du Grand Conseil !!!), moqueur, mais aussi très tendre. Qui n'aura pas le coeur serré devant ces pauvres ogres qui regardent avec nostalgie jouer les enfants “tandis que leurs énormes estomacs vides faisaient des gargouillis assourdissants.” ?
Et puis il faut être soit sacrément doué, soit un peu ogre soi-même pour décrire aussi bien que dans cette histoire la fraîcheur et le fondant du goût des enfants...
Allez, sans rancune, et vive les légumes !
Le jour où les ogres ont cessé de manger des enfants, Coline Pierré et Loïc Froissard
Le Rouergue. 2018.