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Le tiroir à histoires
4 avril 2019

Partis sans laisser d'adresse

partis sans laisser d'adresse

 

Commissariat de police de Vancouver, le 27 novembre, midi cinq. C'est au cours de son premier interrogatoire qu'on fait la connaissance de Felix Knutsson. La situation est critique. Mais ce n'est qu'au bout de plusieurs chapitres qu'on saura comment il en est arrivé là.

Felix a bientôt 13 ans, une adorable gerbille prénommée Horacio en hommage au présentateur de son jeu télévisé culte : Qui, Que, Quoi, Quand ? A force de regarder cette émission, il a d'ailleurs développé une aptitude particulière (ou peut être l'a-t-il toujours eue ?) à retenir des tas d'informations : les sites classés au patrimoine de l'Unesco, le nom des empereurs Romains, les inventions françaises les plus dingues. Felix vit avec sa mère (un peu défaillante, un peu instable, mais aimante) dans un combi Volkswagen, de façon "temporaire", le temps qu'elle retrouve un emploi stable. Au collège, il est entouré de son super copain d'enfance, Dylan, et de Winnie, une première de la classe un peu énervante et autoritaire, et pourtant de plus en plus sympathique. Jusqu'ici tout va bien. Sauf que sa mère ne retrouve pas de travail, et que l'hiver arrivant, il fait de plus en plus froid dans le combi.

C'est toujours une joie de se plonger dans les romans de Susin Nielsen, au plus près de ses personnages irrésistibles et du marasme de leurs vies. Elle fait tomber ici un des sujets quasi tabous de la littérature jeunesse : la grande précarité. Sujet délicat s'il en est, et c'est avec brio qu'elle mène son récit, évitant habilement les écueils prévisibles. Felix est pauvre, il vit dans des conditions très inconfortables qui rendent sa vie quotidienne pénible. Maintenir un semblant d'hygiène requiert une planification compliquée, trouver des toilettes est une préoccupation de tous les jours. Avec sa mère, ils ont développé l'art de la débrouillardise (une qualité qui sert pas mal, dans la vie). Malgré tout, il souffre de la faim, de l'exiguité, de la fatigue. Aucun misérabilisme, mais le problème de la pauvreté n'est pas évacué ni noyé sous une overdose de bons sentiments. C'est avec beaucoup de justesse et d'optimisme que le récit embrasse cette situation.

C'est toujours en eux, grâce aux liens qu'ils tissent avec les autres, que les personnages de Nielsen trouvent les ressources et la résilience. L'entraide est un ressort puissant, à travers l'amitié mais aussi à travers tous les liens sociaux qui se construisent chaque jour, de façon durable ou anecdotique. Aucun personnage n'est parfait, mais tous sont profondément humains, avec leurs failles, leurs fragilités, mais aussi leur richesse propre et leur générosité. Et c'est l'écoute, le respect, la confiance qu'ils se donnent, les uns aux autres, qui les rends fort. C'est avec beaucoup de tendresse que Susin Nielsen croque ses personnages, les fait se rencontrer et nous fait retrouver ceux de ses livres précédents, ajoutant roman après roman de nouvelles têtes et de nouvelles couleurs sur sa grande fresque du Vancouver contemporain, fictif mais incroyablement vivant.

Ajoutons des dialogues souvent truculents, un sens certain de la dramaturgie, de l'humour, et voilà un 6ème roman au cordeau, qui émeut autant qu'il réjouit, et donne envie, à l'instar de Felix, de croire en les autres et d'être généreux.

 

A lire aussi : Le Journal malgré lui d'Henry K. LarsenOn est tous faits de molécules, Les optimistes meurent en premier.

 

Partis sans laisser d'adresse, Susin Nielsen.

Editions hélium. 2019.

 

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