La petite fille en rouge
« Approchez, les enfants, que je vous tricote une histoire », commence une vieille grand mère enveloppée de son châle et entourée de ses pelotes, minuscule, sur un socle au milieu de la table autour de laquelle sont assis des enfants. Elle paraît un peu irréelle, cette grand-mère d'antan, entre les consoles, les écrans plats, et les quantités de jouets modernes aux quatre coins de la pièce, les enfants vêtus de marques regroupés autour d'elle, la pluie battant les carreaux dehors.
« Sachez néanmoins, les enfants, que les histoires sont comme le ciel : changeantes, imprévisibles et susceptibles de vous surprendre sans protection. Vous aurez beau scruter l'horizon, vous ne saurez jamais vraiment ce qui va arriver. »
Mystérieux prologue à La petite fille en rouge, il ne m'en a pas fallu plus personnellement pour être happée dans cet univers inquiétant, version moderne du petit chaperon rouge.
L'histoire se passe dans la forêt, une forêt de béton et de brique où les arbres sont rares. Transposée dans la jungle urbaine, la promenade de Sophia, la petite fille en rouge jusqu'à la maison de sa grand mère, est semée de mille dangers.
Roberto Innoncenti, le très intéressant illustrateur de Pinnocchio, multiplie les références au cinéma américain, aux comics, et au pop art et déploie des planches foisonnantes qui dépeignent la ville sous toutes ses coutures : l'animation des rues dans toute leur profusion de personnages, de bruits, de publicités, les façades des immeubles, vitrines d'autres histoires (Hitchcock et Fenêtre sur cour ne sont pas loin !), la circulation, les centres commerciaux, et bien sûr les bas-fond, et la périphérie glauque, où les rencontres sont plus hasardeuses encore qu'au fond des bois.
Dans la ville d'Innocenti, les trottoirs sont saturés d'objets de consommation et les murs de messages publicitaires, dégageant une froideur glaciale sous leurs couleurs criardes. Les poubelles débordent, les rues sont jonchées d'ordures, les murs couverts de graffitis.
Un bel album, en grand format carré, à la mise en page inhabituelle : des illustrations en grandes planches ou en grandes vignettes façon BD, mais un texte très fragmenté, dans plusieurs petits cadres.
Comme pour le conte classique, l'auteur nous propose une deuxième fin, moins tragique. Car souvenez-vous, les histoires sont magiques …
A réserver à des enfants un peu plus grands que celles que j'ai sous la main (A partir d'au moins 5 ou 6 ans je pense). C'est un album riche, étonnant, qui m'a plus intriguée que plu à première vue, mais qui m'a happée et dans lequel j'ai bien failli me perdre moi aussi... A lire absolument !
La petite fille en rouge, Roberto Innocenti, Aaron Frisch
Gallimard. 2013.